Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 3.djvu/480

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
474
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


un immense frisson traversa l’auditoire ; les juges, les jurés ne cachaient pas leur émotion ; les officiers étaient très pâles ; des femmes sanglotaient.

À quelque terreur de la lumière qu’on se fût heurté, le procès de Zola avait éclairé tout le procès de Dreyfus. Labori put retracer cette histoire dans un vaste tableau à fresque. Les lettres de Dreyfus à Demange sur ses entrevues avec Du Paty firent apparaître l’impossibilité morale des aveux. Ainsi Méline avait été un homme prudent quand il disait « qu’on aurait discuté ces aveux, parce qu’on discute tout dans cette affaire ». Détestable hypocrisie : « Le nom de l’histoire qui est marqué au pilori le plus humiliant, c’est celui de Ponce-Pilate. »

Il ménagea les chefs militaires et, même, Esterhazy. Le bordereau est d’Esterhazy ; seulement, la livraison de ces documents sans valeur, qui ne compromettent pas le salut de la nation, constitue beaucoup moins « une trahison véritable qu’une escroquerie ». La pièce de Pellieux est un faux. Pour le faussaire, il le faut chercher « non pas dans les bureaux de l’État-Major, mais au-dessous, à côté d’eux », quelque complice obscur d’Esterhazy, « à le supposer coupable[1] » ; après lui avoir « fourni les documents du bordereau », cet ami « le défend dans la bataille et fabrique pour lui ou l’aide à fabriquer des faux tutélaires ». C’était l’hypothèse de tous les revisionnistes, mais nul encore ne soupçonnait Henry, quelque Lemercier-Picard. « Alors, tout deviendrait clair, lumineux. Ces braves généraux, ces loyaux soldats, pleins de bonne foi, viendraient ici avec une entière confiance. C’est leur bonne foi qui m’épouvante. »

  1. Demange, à Rennes, quand il parlera d’Henry, emploiera les mêmes précautions oratoires.