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MORT DE LEMERCIER-PICARD

Mais cette hypothèse d’un coup subitement porté à la gorge ou dans le ventre du misérable, au cours d’une discussion, avec ou sans intention de tuer[1], Brouardel et Socquet ne l’avaient pas abordée dans leur rapport, parce qu’il n’existe aucun moyen scientifique de reconnaître ce genre de meurtre. Ainsi, l’ensemble des faits de la cause ouvrait le champ à toutes les suppositions ; quelques-uns seulement des symptômes de la pendaison avaient été officiellement constatés ; on n’avait découvert aucun de ceux d’un crime, empoisonnement ou strangulation ; et le corps d’un homme mort par inhibition est le seul cadavre qui soit absolument muet.

Il n’est pas certain que la brutalité des vengeances de Billot eût suffi à remuer l’opinion : elles n’avaient ému, outre le reste du monde, que de rares esprits généreux qui s’indignèrent de voir chasser Picquart d’une armée où triomphait Esterhazy, et les corps savants[2] qui offrirent bravement le témoignage de leur admiration

  1. Henry passa presque toute cette journée du 3 mars 1898 en pourparlers au sujet de son duel avec Picquart (Voir p. 514). On a supposé qu’un de ses agents, Guénée ou l’adjudant Locrimier, serait allé trouver Lemercier, qu’une discussion se serait engagée entre eux, etc. Mais il n’en existe aucune preuve. Ni Guénée, mort assez subitement avant le procès de Rennes, ni Locrimier, qui se pendit vers la même époque, n’ont été interrogés sur leurs relations avec l’homme de la rue de Sèvres. Esterhazy dit que « Lemercier-Picard passa de vie à trépas, malgré lui ; le faux s’agrémente parfois d’assassinat. » (Dép. à Londres. Éd. de Bruxelles, 91) — Trois savants, des revisionnistes militants, à qui j’ai communiqué le procès-verbal de Brouardel, concluent nettement au suicide de Lemercier-Picard. L’un d’eux, en me transmettant son opinion motivée, m’écrivit : « Tant pis pour le drame ! »
  2. Charles Richet, président de la Société de Biologie, adressa à Grimaux une chaleureuse allocution (26 février 1898) ; tous les membres de la société se levèrent pour faire honneur au vieux