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MORT DE LEMERCIER-PICARD


zarre cerveau. Les perpétuelles menaces d’Esterhazy, l’incompressible violence de ses propos l’avaient édifié sur son compte : un maître-chanteur et un gredin[1]. Il lui battait froid, avait allégué une indisposition pour ne pas se compromettre davantage en l’assistant contre Picquart[2]. Henry, aussi, ne lui paraissait plus de tout repos ; il connaissait ses « obscures » relations avec Esterhazy[3], s’en étonnait, l’avait surpris en flagrant délit de mensonge lors du retour du document libérateur[4], flairait des embûches. Surtout, il mettait en doute l’authenticité de la lettre que Gonse lui avait montrée comme la preuve certaine du crime de Dreyfus et que Pellieux avait produite au procès de Zola. Il tenait que la pièce « avait été glissée au service des renseignements » par quelque imposteur, que « c’était un piège ». Et il allait le répétant, perspicace et téméraire, à Henry lui-même[5].

Henry, dès lors, fut repris des mêmes craintes qui l’avaient agité quand Picquart découvrit Esterhazy : le faux était la pierre angulaire de son édifice ; que la pierre soit descellée, ébranlée, et tout s’écroule.

La belle idée qu’avait eue Pellieux de divulguer cette pièce faite pour l’ombre ! Autre fatalité, et qui l’eût pu prévoir ? Le pendu de la rue de Sèvres à peine enterré, voici Du Paty, le plus crédule des hommes, qui suspecte un document authentiqué par Boisdeffre !

  1. Instr. Tavernier, 21 juillet 1899, Du Paty.
  2. Voir t. II, 688.
  3. Instr. Tavernier, 13 juillet, Du Paty.
  4. Ibid., 21 juillet, Du Paty.
  5. Cass., I, 444, 454 ; II, 34, 196 ; Rennes, III, 505 ; Instr. Tavernier, 17 juin, Du Paty. — Il précise qu’il dit ses doutes à Henry, le 25 février 1898. Précédemment, il avait fait part de son scepticisme à Gonse. (Rennes, III, 505, Du Paty ; Enq. Renouard et Instr. Tavernier, Gonse).