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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


de Dreyfus, mais pour rapprendre au peuple les droits « naturels, inaliénables et sacrés[1] » de l’homme et du citoyen, — ses propres droits.

Le dégoût du peuple eût pu nous venir de tant d’abominations et de sottises qu’il applaudissait ; au contraire, ce fut une profonde pitié, la ferme volonté de l’éclairer, de le sauver de lui-même.

Le vieux Grimaux n’avait pas relu, depuis le collège, la fameuse déclaration. Une grande émotion le prit quand Trarieux donna lecture de ces lignes du préambule, sorties, il y a un siècle, de dix siècles de misère et de servitude, et si terriblement prophétiques, éternellement vraies : « Considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des Droits de l’Homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des Gouvernements… »

Viollet fut désigné pour rédiger, avec Trarieux, les statuts de la nouvelle association.

Ce grand savant, qui avait fouillé si profondément aux ruines du vieux droit français et en avait dégagé les Propylées, les Établissements de Saint-Louis, était, je l’ai dit, profondément catholique. Rien qu’à son maintien, on reconnaissait en lui l’un de ces « Port-Royalistes attardés », pour qui le nom de janséniste était moins le signe d’une dissidence dogmatique que l’indice d’une profession de gravité et de religion austère[2] ». Ce sérieux du janséniste, triste, mais fortifiant, ne va pas sans une haute moralité, qui est elle-même inséparable du courage. Viollet convenait qu’il avait été conduit, « comme malgré lui », à la conviction que Dreyfus était innocent ; mais, d’autant plus, il se

  1. Préambule. (Séance du 20 août 1789.)
  2. Sainte-Beuve, Port-Royal, V, 593 ; Renan, Essais de morale et de critique, 15.