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LES IDÉES CONTRE-RÉVOLUTIONNAIRES


Les ovations, que la foule réservait autrefois aux troupes victorieuses, allaient maintenant à des soldats à qui elle demandait surtout de ne pas se battre. On avait tant dit à ce peuple que la Revision serait la guerre, qu’il le croyait. La cause profonde des renouveaux de l’esprit césarien n’est nullement la vieille ambition batailleuse et conquérante, mais, bien au contraire, l’amour désordonné d’une paix qu’un chef militaire saura assurer. Cet esprit de Brumaire soufflait à nouveau. Les journaux qui invoquaient le « sabre libérateur[1] », c’étaient les mêmes qui réclamaient les huis clos, protestaient qu’on ne pouvait pas regarder au dossier secret sans provoquer des catastrophes. Le cri de « Vive l’armée ! » signifiait, pour les couches profondes : « Vive la paix ! »

Les officiers n’eussent pas été des hommes s’ils avaient résisté à une telle griserie. Ils eussent trouvé naturel que la part qu’ils avaient prise au procès de Zola, comme témoins ou comme manifestants, fût inscrite sur leurs livrets comme une campagne. Leur irritation éclatait en des actes insolents ou odieux : l’un d’eux fit dresser, au champ de tir, un mannequin qui figurait Zola[2] ; un autre écrivit une lettre outrageante à Trarieux ; Billot refusa de le frapper, ne s’y résigna que devant l’intervention personnelle du président du Sénat, Loubet, et une réunion comminatoire des groupes républicains[3].

Tout ce corps d’officiers, d’ordinaire très calme, occupé de travail ou de plaisir, était agité, bruyant, d’une susceptibilité énervée.

  1. Coppée, dans le Journal du 6 avril 1898. — Millevoye, Drumont. Cassagnac, Judet tenaient le même langage.
  2. Siècle du 22 avril.
  3. Le capitaine Begouën fut puni de la réprimande du ministre et renvoyé de L’État-Major général au 6e corps, à Châlons (3 mars 1898).