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LES IDÉES CONTRE-RÉVOLUTIONNAIRES


réactionnaires étant tous d’accord contre Dreyfus, l’équilibre est rétabli ; sur ce niveau partout abaissé, la lutte va s’engager entre les partis comme si Dreyfus n’avait jamais existé. Il n’y aura de conflit aigu qu’entre les vieux programmes d’idées ou d’intérêts. La République, à cette reculade, va perdre de son lustre, mais elle n’y périra pas. Dans cet obscurcissement des intelligences, ou dans cet avilissement des caractères, dans cette extrême misère morale, persévérer dans l’injuste erreur ne fut donc pas la pire des politiques. Elle fut commandée par la logique des choses. Il était lamentable d’avoir conduit les républicains dans cette impasse. Une fois dans ce défilé, à ce point précis, on ne pouvait pas reculer. Mettre maintenant en doute la chose jugée, c’eût été abandonner la République au hasard, la livrer à l’ennemi. On prêta ce mot à un député socialiste : « Les partis ont le droit d’être lâches. »

Un autre raisonnement n’eût pas été seulement moins cru, mais la sagesse même : « Les électeurs ne sont pas des juges ; le suffrage universel n’est pas un tribunal ; il ne lui appartient pas de se prononcer pour Dreyfus ni contre lui. » Il en résultait que d’avoir réclamé la Revision n’était pas une cause d’indignité.

Il eût fallu le dire, le crier. Personne ne l’osa. Quiconque, même désintéressé de la lutte, aurait tenu ce langage, fût devenu suspect. Waldeck-Rousseau, en recommandant de voter pour les amis du ministère, fit entendre quelques sévères avis, puis s’arrêta[1].

Brisson signala le péril clérical avec beaucoup de force, les appels quotidiens au coup d’État et à la dictature, l’audacieuse tentative de reformer la Ligue en plein

  1. Discours du 22 mars 1898 à l’inauguration du cercle républicain, du 21 avril au restaurant Vianey.