Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 3.djvu/587

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
581
LES IDÉES CONTRE-RÉVOLUTIONNAIRES

esprits autour de l’idée d’une justice légale : ils ont préféré se mettre en queue de leurs troupes dévoyées[1]. » La plupart (Pelletan, Goblet, Sarrien, Mesureur) ne firent aucune allusion à l’Affaire dans leurs professions de foi, réservèrent pour les réunions publiques les paroles vibrantes qu’emporte le vent. D’autres crurent nécessaire de se lier par écrit. Déroulède, dans un manifeste aux municipalités de France, les avait invitées « à exiger des candidats qu’ils s’opposeraient à toute revision du procès de Dreyfus, directe ou indirecte[2] » ; les « défenseurs du traître », il les faut exclure « du service de la République ». Aussitôt, un jeune avocat juif, Klotz, déclara : « Patriote avant tout, j’ai flétri, dès la première heure, la campagne odieuse dirigée contre l’armée de la République et je prends l’engagement de voter contre la revision du procès Dreyfus[3].

Un antisémite notoire, Georges Berry, eut plus de honte. Il s’était écrié : « Que Dreyfus soit innocent ou coupable, je ne veux pas de la Revision[4] ! » Mais il démentit le propos.

L’idée abstraite de la chose publique est fort étrangère aux démocraties. Tout le gros du parti républicain, oublieux des vieilles traditions libérales, s’enfonça dans une épaisse vulgarité. L’énorme masse rurale, surtout, dominée par la conception la plus matérialiste de l’intérêt, n’eût pas souffert qu’on lui parlât de justice. Un

  1. Aurore du 30 mars 1898.
  2. 8 avril.
  3. Profession de foi de L.-L. Klotz aux électeurs de Montdidier. — Une déclaration analogue fut placardée dans le Gard, au nom d’un autre candidat juif, Fernand Crémieux ; mais il la désavoua, déclara qu’elle avait été posée à son insu par des amis trop zélés ; l’un d’eux en convint. (Aurore au 31 mai.)
  4. Figaro du 2 mai.