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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


innocent condamné, cela regarde les tribunaux. Pour les paysans, la Revision, c’était la guerre.

Ces parades patriotiques n’avaient point de contre-partie. Bien avant l’ouverture de la période électorale, ce fut l’évidence que toute résistance, sauf pour l’honneur, serait l’impossible. Un ancien collaborateur de Casimir Perier, l’un des hommes d’avenir du parti modéré, Maurice Lebon, ne voulant ni capituler avec sa conscience ni être battu après une lutte pénible contre ses anciens électeurs, renonça à demander le renouvellement de son mandat. Il écrivit « qu’un grand parti comme le parti républicain ne peut impunément laisser violer les principes supérieurs du droit et de la justice ; il perd ainsi toute raison d’être[1] ».

Quelques autres résolurent d’affronter la lutte. Ils pensaient qu’être battu pour ses idées, c’est encore les servir ; ce qui est grave, irrémédiable, c’est de ne pas se battre pour elles.

Dès février, beaucoup de républicains de Carmaux, qui avaient autrefois appuyé Jaurès, s’étaient prononcés violemment contre lui[2], criaient à la félonie et s’autorisaient des députés socialistes qui avaient flétri les promoteurs de la Revision. Jaurès ne désavoua rien, se fit honneur de son intervention à la Chambre et aux assises ; sa profession fut muette sur l’affaire elle-même, mais il y mit tous les mots séditieux : « Nos ancêtres de la Révolution ont sauvé la patrie en exigeant de tous les chefs l’obéissance aux lois républicaines ; c’est nous aussi qui ferons la France forte et grande en la pénétrant de l’esprit de justice. »

  1. Lettre du 6 mars 1898.
  2. Le 19 février, le Comité d’action républicaine, dans une affiche, lui envoya « l’expression unanime de son profond mépris. Vive l’armée ! Vive la République ! À bas les traîtres ! »