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LES IDÉES CONTRE-RÉVOLUTIONNAIRES

J’étais, depuis huit ans, député des Basses-Alpes. Les conseillers généraux et conseillers d’arrondissement de Digne m’invitèrent à retirer ma candidature ; je m’y refusai :

La loi a été violée contre un homme que je n’ai jamais vu, qui m’est aussi étranger qu’à vous-même ; le fait aujourd’hui n’est plus contestable. Si une pareille méconnaissance de la loi n’est pas réparée, qui vous assure qu’elle ne sera pas renouvelée demain contre un autre ? Quand l’arbitraire et l’illégalité ont pénétré une fois dans le domaine de la justice, qui donc pourrait se flatter qu’il ne sera pas atteint, lui aussi, à son tour, selon le flot mouvant des passions et des haines, dans sa sécurité, dans ses biens ou dans son honneur ?

C’est servir la cause de tous, et, surtout, des plus humbles, que de dénoncer l’illégalité. Notre protestation a été une première sauvegarde contre le retour possible à de pareilles pratiques. J’ai protesté l’un des premiers : quoi qu’il advienne, je ne le regretterai jamais. Si c’était à recommencer, je recommencerais. Je serais indigne, si j’avais agi autrement, d’avoir été le collaborateur et l’ami de Gambetta. Vous ne sauriez croire avec quelle sérénité d’âme on subit les injures et les calomnies, quand on est pénétré, comme je le suis, de la bonté et de la noblesse de sa cause, et alors même qu’on n’aurait pas la certitude que, dans un pays qui s’appelle la France, dans le pays de Voltaire et de la Révolution, la victoire finale ne serait pas acquise aux défenseurs du droit.

On trouverait difficilement, dans l’histoire de ce siècle, une crise morale plus affligeante que celle que nous traversons aujourd’hui ; j’en souffre plus douloureusement que qui que ce soit ; cependant, j’en souffrirais bien plus si je m’étais réfugié dans une commode abstention.

Je sais tout le prix qu’il convient d’attacher, dans une libre démocratie, au mandat de représentant du peuple. Je sais aussi, hélas ! que quelques-uns y attachent un trop