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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


Toutefois, l’attention de Billot avait été fâcheusement éveillée, par la maladresse de Gonse et tant de démarches, sur la dépêche de Panizzardi, et Henry restait à la merci d’un incident. Il eût suffi d’une conversation fortuite entre Paléologue et Billot.

Paléologue, comme je l’ai raconté, avait objecté déjà la dépêche du 2 novembre à la version de Gonse et d’Henry que Dreyfus n’avait pas eu de rapports directs avec l’Allemagne et que Panizzardi était l’intermédiaire. Pourtant, cette version inattendue, ces variantes dans l’histoire de la trahison, tantôt avec l’Italie, tantôt avec l’Allemagne, et le trouble d’Henry, qu’il avait noté, le jour où ils en parlèrent, tout cela s’était arrangé jusqu’à présent dans son esprit. Quiconque a eu affaire à Henry s’est trompé sur l’extraordinaire paysan ; tous le prirent pour un bon rustre et le plus droit des hommes. Ainsi Bertulus, Picquart. De même Paléologue, Il était aux premières loges pour bien voir et n’avait encore rien vu. Il croyait toujours, sur la parole d’Henry, à la culpabilité de Dreyfus.

Cette fois pourtant, Paléologue, étant lui-même en cause, eût pu comprendre. Ces traductions de la dépêche chiffrée de 1894, d’une sincérité manifeste, d’où résultait que Dreyfus n’avait pas eu de rapports avec l’Italie, si Henry, l’une après l’autre, les avait fait disparaître, c’est qu’elles étaient la condamnation de la lettre mystérieuse de 1896, où Panizzardi avouait qu’il avait eu le juif à son service. La fourberie lui fût apparue à travers le mensonge d’Henry à son endroit. La fameuse lettre était un faux, et le faussaire celui qui avait supprimé les versions authentiques de la dépêche.

L’accident eût été d’autant plus grave que Billot, qui se résignait volontiers à être dupe, manquait d’es-