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LA CHUTE DE MÉLINE


tomac devant les complicités trop cyniques et dangereuses. Faire usage d’une pièce douteuse et couvrir un faussaire avéré, ces deux vilenies n’engagent pas au même degré la responsabilité. La peur eût pu lui donner le courage d’agir honnêtement.

Henry, au début, avait cru suffisant de supprimer la dépêche de 1894, parce qu’elle ne cadrait pas avec son faux de 1896. Il s’apercevait, à présent, qu’en jetant au feu un chiffon de papier, il n’avait pas aboli la possibilité de voir réapparaître la version authentique que Paléologue tenait en réserve. Il devenait, dès lors, nécessaire, puisque Billot s’acharnait à avoir la dépêche, de lui en fournir un texte qui le satisfît, ne fût pas en contradiction avec la pièce de 1896 et permît, en outre, de contester la version des cryptographes officiels, le jour où elle sortirait de l’administration des postes ou du ministère des Affaires étrangères.

Il n’y a qu’un moyen d’authentiquer un faux : un autre faux.

Une telle estime entourait Henry que d’apporter un matin à Gonse une version convenable de la dépêche, rien ne lui eût été plus aisé. Il l’aurait retrouvée tout à coup dans un de ses dossiers, après l’avoir fait écrire par Guénée, qui n’était pas moins expert que Lemercier-Picard.

À la réflexion, il lui parut qu’à assumer encore une fois, à lui tout seul, tous les risques, il jouait gros jeu ; et l’idée lui vint de faire participer à la fabrication du nouveau faux, dont il avait besoin, le seul officier de l’État-Major qui se fût avisé, avec Picquart, de suspecter son autre faux.

On a vu[1] qu’Henry, en 1894, avait fait une copie de

  1. Voir t. Ier, 246.