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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Le mari n’eut pas de peine à justifier sa femme du rôle que Pellieux lui attribuait ; elle était encore avec lui et leurs enfants à la campagne, qu’elle n’avait pas quittée à l’époque où Esterhazy se serait rencontré avec sa mystérieuse protectrice. Pellieux l’écouta, s’inclina devant cet argument décisif ou fit semblant, puis raconta tout à Esterhazy[1] qui venait de recevoir la citation de Bertulus.

Pellieux, comme Esterhazy et Henry, savait que Bertulus avait donné sa confiance à Picquart ; certainement il lui dira que le bandit est informé, et Picquart s’arrêtera net, frappé dans ses affections, pour écarter un scandale.

Ce fut, en effet, la pointe empoisonnée du discours d’Esterhazy à Bertulus. Il convint qu’il avait renseigné Drumont, refit, pour la centième fois, l’histoire de ses rapports avec l’inconnue qui l’avait documenté, s’embrouilla dans quelques mensonges et termina sur cet avertissement : « qu’une certaine dame venait de faire une démarche tellement inconsidérée qu’il y avait lieu d’espérer qu’elle se dévoilerait[2]. »

Par malheur, Mme Monnier elle-même avait déjà signalé à Bertulus[3] la nouvelle indignité de Pellieux à son égard ; le juge eut ainsi, au premier mot d’Esterhazy, une preuve de plus que la collusion continuait.

Un autre que Bertulus aurait réfléchi que la lutte contre de tels adversaires devenait une guerre au couteau et qu’il y ruinerait sa carrière. Mais il s’était piqué au jeu et, s’il avait fait capituler sa conscience devant son intérêt, il n’aurait plus osé regarder l’un de ceux

  1. Dép. à Londres, 5 mars 1900 : « Par ordre du général de Boisdeffre. »
  2. Cass., I, 222, Bertulus : II, 269, Esterhazy (14 mai 1898).
  3. Ibid., I, 235, Bertulus, (lettre du 10 mai.)