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LA CHUTE DE MÉLINE


qui savaient la vérité. Il décida toutefois, et avec beaucoup de sens, qu’il ralentirait pendant quelque temps son instruction afin d’endormir les soupçons dont il était l’objet. Il se contenta de demander au ministère de la Guerre, qui la lui remit, la lettre « Espérance[1] », et à Esterhazy, qui se déroba, les lettres de la dame voilée[2]. Puis, très maître de lui, dans l’immobilité silencieuse du chasseur à l’affût, et malgré les impatiences qui venaient à Picquart, il attendit que Christian consentît à parler.

V

Ces incidents, l’espérance fiévreuse que Christian ne tarderait pas à livrer Esterhazy à Bertulus, décidèrent Zola à ne pas accepter la rencontre que Billot lui proposait pour le 23 mai, à Versailles. Les journaux alléguèrent, ce qui parut plausible, qu’au lendemain du scrutin de ballottage, quand les passions électorales soufflaient encore en tempête, les vents du dehors pénétreraient dans le prétoire. Labori souleva une exception d’incompétence, inadmissible en droit, mais qui, étant préjudicielle, obligeait la cour d’assises, en cas de pourvoi, à ajourner les débats. Il prétendit qu’en ne citant pas Zola et Perrenx à Paris, le ministère public les soustrayait à leur juge naturel, le jury de la Seine où ils habitaient.

Le choix de Versailles, s’il avait été dicté par les raisons les plus basses, n’en était pas moins parfaitement légal. Le garde des Sceaux eût pu renvoyer l’affaire

  1. 26 mai 1898 (Cass., II, 269, Bertulus).
  2. 2 juin (Ibid., II, 270, Esterhazy).