Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 3.djvu/628

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
622
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


devant les assises de n’importe quelle ville de France où avait été mis en vente un seul exemplaire de l’article de Zola. La Cour se déclara compétente. Mais Labori ayant riposté que ses clients se pourvoyaient en Cassation, Périvier, qui présidait, et le procureur général Bertrand, l’un solennel et l’autre goguenard[1], durent s’incliner. Le sursis fut prononcé.

Les nationalistes, qui croyaient tenir une nouvelle victoire, manifestèrent une vive indignation : c’était une reculade honteuse, l’aveu de la peur qui tenait ces diffamateurs et de leur impuissance à se justifier. Ils huèrent Zola qui le matin, avait été frappé au cœur par l’article de Judet, l’éclaboussure inattendue qui salissait son nom et la mémoire de l’homme dont sa mère avait gardé et lui avait enseigné le culte[2]. Picquart fut poursuivi par une bande de malandrins que la police laissa faire.

Esterhazy était venu à Versailles pour se livrer contre lui à des voies de fait. Il erra tout le jour devant la porte du Palais de justice, grommelant des menaces, l’air d’un traître de mélodrame. On observa que les officiers évitèrent son contact. Le soir, il envoya à Picquart une lettre outrageante : il se promènera, trois jours de suite, de telle à telle heure, dans deux rues qu’il désignait, pour lui infliger une correction[3]. Picquart, comme on peut croire, ne répondit pas à cette provocation de souteneur ; il dit seulement à un jour-

  1. Cour d’assises de Seine-et-Oise, 23 mai 1898, Bertrand : « Je m’incline devant la loi. Condamnés devant le jury de la Seine, fuyant devant le jury de Versailles, MM. Zola et Perrenx ne seront pas jugés aujourd’hui, mais la cause est jugée. » — Périvier : « Vous avez ce que vous voulez ? Tant mieux ! » Il essaya aussi de l’éloquence : « Il n’y a rien au-dessus de la loi, rien, rien, pas même M. Zola ! »
  2. La Vérité en marche, 234.
  3. Jour du 24 mai 1898.