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L’ENQUÊTE DE PELLIEUX


un brave soldat[1]. » D’autre part, homme du beau monde, clérical et très ambitieux, à bon droit, d’avancement, son intérêt lui commandait de l’innocenter. « Lui seul, dit Esterhazy, il fut honnête[2]. »

Le jour même où Pellieux fut désigné, Scheurer rendit visite à Saussier. Leblois, enfin, l’avait autorisé à tout dire au gouverneur. Mais Saussier refusa de l’entendre ; il l’eût fait la veille, mais il était dessaisi maintenant. Il fit un vif éloge de Pellieux. « Vous me connaissez depuis longtemps, dit Scheurer en prenant congé. — Vous êtes le plus honnête homme de France. — Après vous, mon général. (Il n’observa pas si Saussier rougit.) Eh bien, je veux vous dire que Dreyfus est innocent, qu’on le sait à l’État-Major, que Boisdeffre et Gonse sont des criminels. » Saussier n’objecta pas un mot[3].

Pellieux, le lendemain[4], fit venir Mathieu Dreyfus, l’accueillit avec courtoisie et lui demanda ses preuves. Mathieu lui présenta la justification de son frère, s’appliqua à montrer l’identité entre l’écriture d’Esterhazy et celle du bordereau, réclama une expertise. « Rien de plus juste, répliqua Pellieux pour l’amuser ; votre malheureux frère a été condamné, en effet, sur des rapports d’experts. » Il convint aussi que les notes du bordereau étaient sans valeur, qu’elles n’émanaient pas forcément d’un officier d’État-Major. Quand Mathieu parla de la moralité d’Esterhazy : « Inutile d’insister, nous sommes fixés[5]. »

Pellieux considéra que Mathieu lui avait apporté seu-

  1. Cass., II, 176. Pellieux. — En 1882, Pellieux était major de la division du corps d’occupation en Tunisie.
  2. Dép. à Londres (Éd. de Bruxelles), 85.
  3. Mémoires de Scheurer.
  4. 17 novembre 1897.
  5. Souvenirs de Mathieu Dreyfus.