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LA CHUTE DE MÉLINE


qu’il était une des réserves politiques les plus précieuses de la France ; dans l’intérêt même du pays, il ne devait pas compromettre dans cette bagarre la fortune d’un homme d’État tel que lui. Il rêvait, comme Cavaignac, de l’Élysée. La droite l’avait adopté.

La chute de Méline fut la réponse des républicains de gauche à la coalition qui avait porté Deschanel à la présidence[1]. Tous leurs orateurs (Millerand, Bourgeois. Trouillot, enfin Brisson), dans l’interpellation sur la politique générale, dénoncèrent l’alliance obstinée, persistante de Méline avec la droite ; les partis de réaction gouvernaient le Gouvernement, et chaque jour on leur livrait quelque chose de l’esprit républicain. Cochin et Cassagnac convinrent que telle avait été la politique des deux dernières années, Cassagnac pour la condamner, car il voulait reprendre sa liberté d’action, Cochin pour se féliciter d’avoir pu assurer ainsi la défense des intérêts conservateurs et catholiques. Mais Méline s’obstina à nier qu’il eût demandé les concours qui lui avaient été spontanément, disait-il, accordés, et repoussant, contre toute évidence, l’accusation d’être le protégé des hommes du Seize-Mai, il refusa de prononcer la parole qui aurait rompu l’alliance.

C’était là que Brisson l’attendait. Quand Méline eut emporté de haute lutte un premier vote de confiance[2], Brisson fit proposer par deux de ses lieutenants[3] de n’approuver, pour l’avenir, qu’« une politique appuyée sur une majorité exclusivement républicaine… » La

  1. Cassagnac dit nettement que, s’il avait voté pour le fils d’un proscrit de Décembre, c’était pour cimenter « la coalition de tous les conservateurs contre les radicaux ». (Séance du 14 juin 1898.)
  2. Cet ordre du jour, signé de Ribot, Charles Dupuy, Poincaré, Leygues et Jonnart fut adopté par 295 voix contre 272.
  3. Henri Ricard et Bourgeois (du Jura).