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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


motion, combattue par Méline, fut adoptée[1]. Drumont et ses amis votèrent avec la gauche : « Parce que la haute banque, la juiverie, avaient imposé à Félix Faure et à Méline, dans l’affaire Dreyfus, une attitude équivoque[2]. » Déroulède, qui s’abstint, avait précisé, dans une interruption, les griefs des nationalistes : ils réclamaient « le départ de M. Billot[3] ».

Ainsi tomba Méline, l’un des hommes qui auraient pu servir le plus utilement la République, s’il n’avait pas, à son insu, perdu le sens et l’esprit républicains dans la fréquentation de ses alliés économiques ; les protectionnistes. Il avait de rares et précieuses qualités, le courage, la décision, le sens politique à la Guizot. Mais le souci des basses combinaisons parlementaires lui fit perdre de vue l’Idéal sans lequel la République ne serait que l’étiquette du plus faible des gouvernements. Il eût pu se cramponner au pouvoir ; on lui en donna le conseil ; il était épuisé par deux années de luttes incessantes et il ne se sentait pas la force de continuer. Ses pires fautes, celles qui chargeront le plus lourdement sa mémoire, il ne les avait pas commises sous la pression seulement de la droite, mais des radicaux qui le renversèrent.

La crise ouverte par la démission de Méline dura douze jours (16-28 juin).

Sauf Drumont, personne, dans ces deux séances, n’avait fait allusion à l’affaire Dreyfus. Ni Ribot, qui savait à quoi s’en tenir depuis longtemps[4], ni Bour-

  1. Par 295 voix contre 246.
  2. Séance du 14 juin 1898.
  3. Séance du 13 juin.
  4. Il avait dit à Chautemps, dès 1896, à son retour d’Amérique, que Dreyfus était probablement innocent. Depuis que Scheurer avait commencé sa campagne, il ne cachait pas, dans les conversations de couloirs, que ses doutes d’autrefois étaient devenus une quasi-certitude.