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LA CHUTE DE MÉLINE


geois, dont les doutes n’étaient pas moins anciens[1], ni Millerand, qui, dans son discours, avait regretté l’échec de Jaurès[2], ni Brisson lui même, n’avaient osé aborder d’un mot le redoutable problème. Cependant, l’Affaire avait pesé sur tout le débat, car c’était elle qui avait fait de Méline le prisonnier des États-Majors et des moines, et, maintenant, elle pesait plus durement encore sur la crise ; aucun des parlementaires à qui Félix Faure offrit le pouvoir ne se dissimulait que la politique resterait empoisonnée, que la vie ne serait pas vivable, tant que ce cauchemar opprimerait les consciences et déchaînerait les passions.

L’eussent-ils méconnu, la presse le leur aurait rappelé. D’une part, les revisionnistes, qui considéraient la chute de Méline comme une victoire, redoublèrent d’ardeur et quelques-uns de violence, Gohier, surtout, d’une fureur croissante, qui croyait servir la vérité en employant les armes ordinaires du mensonge. D’autre part, les nationalistes et ceux des radicaux qui compagnonnaient avec eux, enjoignirent d’avance au futur Gouvernement d’en finir avec le Syndicat et dénoncèrent comme « dreyfusard » quiconque, parmi les personnages consulaires qui furent appelés à l’Élysée, leur était suspect de tiédeur[3].

Ce qui ajoutait à l’obscurité de la situation, c’est que les votes de la Chambre, contradictoires et équivoques, ne donnaient aucune indication nette au Président : dans le premier, les modérés et la droite s’étaient prononcés pour la politique de Méline ; le second, dont l’appoint avait été fourni par les antisémites

  1. Voir t. II, 182.
  2. Séance du 13 juin 1898.
  3. Ainsi Ribot et Peytral (Libre Parole. Autorité des 17 et 18 juin, Dépêche (de Toulouse) ; du 24, etc.).