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LA CHUTE DE MÉLINE


effet, n’avait pas osé sévir contre Esterhazy[1], et je reproduisais les propres paroles de Pellieux, sous la foi du serment, au procès de Zola[2].

Je pensai d’abord engager l’affaire au fond, en citant des témoins, Saussier, Hanotaux, Picquart, Esterhazy lui-même, dont les réponses ou le silence confirmeraient mes allégations. À la réflexion, il me parut préférable de m’en tenir à la question de principe et de récuser la compétence du conseil d’enquête.

Billot en avait confié la présidence à un vieux soldat, le général de Kirgener de Planta, excellent homme qui maugréait de la corvée, mais qui n’en était pas moins décidé à donner l’avis que le ministre et l’opinion attendaient.

Je présentai ma défense en quelques mots :

Si j’ai diffamé quelqu’un, qu’on me traduise devant les tribunaux qui sont chargés de juger les diffamateurs. Et si je n’ai diffamé personne, — et je n’ai ni injurié ni diffamé qui que ce soit, — alors il importe, non pas à moi seul, mais à tous ceux qui tiennent une plume dans ce pays, que je ne laisse point porter atteinte en ma personne, par une voie détournée, aux libertés qui sont établies par la loi.

J’ai le droit, comme citoyen libre d’un pays libre, de discuter les actes de l’autorité militaire comme ceux du pouvoir civil. J’ai usé de ce droit depuis plus de vingt ans ; j’en ai usé, étant déjà officier de l’armée territoriale, contre des personnalités militaires qui, quelle que fût la vivacité de mes polémiques, n’ont jamais cru pouvoir me le contester. Le général Boulanger lui-même n’a jamais osé me déférer à un conseil d’enquête.

  1. Cass., I, 548, Billot ; II, 176, Pellieux.
  2. Lettre à Esterhazy du 12 janvier 1898 ; Procès Zola, I, 247, Pellieux : « Si j’ai participé à cette œuvre d’acquittement, j’en suis fier. »