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L’ENQUÊTE DE PELLIEUX


lui[1], mais, habitués à guetter les scandales, dès qu’ils eurent constaté la peur de Billot à avancer sur un sol crevassé, « d’où l’on exhumera des trahisons aux premiers coups de pioche », ils commencèrent aussitôt le procès de l’armée elle-même : « Jusqu’alors, elle était intacte ; il était presque impossible de la discuter sans être traité de sans-patrie. Voici que soudain tout le prestige militaire se dissipe, que la vieille institution est ébranlée. Et par qui ? Par des conservateurs. Ce sont des conservateurs qui déconsidèrent la haute armée. La Révolution a des ressources imprévues[2] ».

Assertion inexacte, car Scheurer et ses amis en étaient encore à supplier les chefs de l’armée de ne pas confondre son honneur avec l’intérêt d’Esterhazy ; Zola, très politique, avait écrit : « Cette affaire est la plus simple du monde ; il n’y a pas d’autre difficulté que de reconnaître qu’on a pu commettre une erreur et qu’on a hésité ensuite devant l’ennui d’en convenir[3] ». En conséquence, la bourgeoisie et toute cette grande majorité du peuple qui n’était pas socialiste recueillirent seulement l’âpre parole des révolutionnaires, et elles y trouvèrent une raison de plus, ou un prétexte, de rester sourdes à la justice.

Les bourgeois libéraux d’avant la loi Falloux eussent été les premiers à prendre parti pour une telle cause ; ils n’eussent pas laissé à Jaurès, tour à tour imprudent et plein de sens, l’honneur d’écrire : « Il s’agit de savoir si, sous un prétexte quelconque, prétexte

  1. Petite République des 25 et 26 novembre 1897. — Rouanet, dans la Lanterne du 18, incline à croire Dreyfus innocent ; Pelletan, le lendemain, regrette que Billot n’ait pas couvert Esterhazy qui semble avoir été « dans l’impossibilité de livrer à l’ennemi les documents » énumérés au bordereau.
  2. Jaurès, dans la Lanterne du 28 novembre.
  3. Figaro du 25 novembre.