Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 3.djvu/78

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
72
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


de suite, l’argument topique, le plus cuisant : « Ce qui me tracasse, c’est que, s’il existe un guichet où l’on touche, il n’y ait pas quelque gredin avéré dans le Syndicat. Voyons, vous les connaissez bien : comment se fait-il qu’un tel et celui-ci, et cet autre n’en soient pas ? Quelques hommes travaillant à des lieues et sans se connaître, mais marchant tous par des chemins divers au même but, « se sont rencontrés fatalement au carrefour de la vérité, au rendez-vous de la justice ». Voilà tout ce « noir complot ». Ils ne veulent qu’une œuvre de « suprême réparation » ; ils se sont jetés au travers de ceux qui « sont en train de faire commettre à la France, à elle la juste, la généreuse, un véritable crime » ; et ils mèneront la campagne jusqu’au bout, « même si des années de lutte sont nécessaires ». « De ce Syndicat, ah ! oui, j’en suis, et j’espère bien que tous les braves gens de France vont en être ! »

En effet, de nouvelles recrues rejoignirent, non pas, comme de l’autre côté du champ de bataille, par masses compactes, mais des isolés, des indépendants, partis, eux aussi, comme les chefs, des quatre bouts de l’horizon, étonnés de se trouver ensemble, mais, aussitôt, unis étroitement.

Et, de part et d’autre, dans une même excitation, apparut chez les simples soldats cette marque des convictions profondes, l’impossibilité de comprendre que quiconque ne pense pas exactement comme vous, puisse avoir raison ou, même, ne soit pas aliéné. Et, pis encore, l’absurde prétention que les âmes se sont classées naturellement : les unes en haut, les autres en bas.

Les écrivains socialistes commirent une grave faute. La plupart n’étaient encore ni pour Dreyfus ni contre