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L’ENQUÊTE DE PELLIEUX


La première pièce, d’ailleurs, suffisait à le tromper ; elle a déterminé bien d’autres convictions d’une sincérité qui défie le soupçon ; et l’idée ne pouvait lui venir qu’elle n’était pas authentique, que les généraux, Boisdeffre et Gonse, et le ministre de la Guerre faisaient sciemment usage d’un faux pour sauver un traître. Lauth venait de photographier la pièce et « la trouvait merveilleuse[1] ».

Pellieux s’étonna-t-il que les ministres et l’État-Major, armés d’une telle preuve (qui expliquait tout, répondait à tout) la gardassent secrète, qu’elle ne fut même pas au dossier ? Henry avait ses raisons pour ne pas produire son faux en public. Il préférait le montrer à huis clos. Gonse invoqua des raisons supérieures d’ordre diplomatique.

Pellieux, pourtant, ne se rendit pas sans résistance à ces prétextes.

Gonse lui révéla encore comment Schwarzkoppen pouvait affirmer à bon droit qu’il n’avait pas connu Dreyfus ; Panizzardi était l’intermédiaire. C’est ce que

    Pellieux fut mandé au ministère de la Guerre où Boisdeffre lui fit communiquer par Gonse la fausse lettre de Panizzardi « avec beaucoup d’autres », parmi lesquelles les lettres de l’Empereur allemand : « Ce n’est, dit-il, ni un tambour ni même un lieutenant-colonel qui eussent pu faire une pareille communication de documents ultra-secrets et confidentiels à un officier général ». — Maizière et Esterhazy disent tous deux que la communication eut lieu « au cours de l’enquête ». Il s’agit, évidemment, de l’enquête judiciaire. Pellieux, causant le 24 novembre 1897 avec Scheurer, fit allusion au faux d’Henry (Voir p. 122). Il l’avait donc connu entre le 21, date de sa nomination, et cette entrevue. — Gonse (Rennes. II, 160) dit « qu’il montra à Pellieux les pièces qui pourraient lui être utiles » : « Il les examina, les choisit, et je les lui fis envoyer deux ou trois jours après par bordereau officiel signé du ministre. » Mais il se garde de préciser quelles pièces il lui montra. « Depuis, nous n’avons plus vu Pellieux à l’État-Major jusqu’après son enquête. »

  1. Rennes, I. 633, Lauth.