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L’ENQUÊTE DE PELLIEUX

Du Paty eût préféré ne pas déposer à l’enquête ; Esterhazy pria Pellieux de l’entendre, « le plus tôt possible, dans l’intérêt de sa défense[1] ».

Enfin, Esterhazy fit choix d’un avocat. Un député radical, Bazille, eût voulu plaider ce procès retentissant ; il brouillonna, bourdonna autour de lui. Mais Vervoort conseilla à son ami de s’adresser plutôt à Maurice Tézenas, dont il avait été le client.

Tézenas était alors l’un des plus réputés parmi les jeunes avocats d’assises, souple, aimable, sceptique dès l’enfance (il est mon camarade de collège), qui avait érigé le scepticisme en sagesse, orateur facile, avec du trait, la parole tantôt caressante, tantôt vigoureuse, et, sous un joli laisser-aller, un grand soin de parvenir et une non moins grande habileté à débrouiller les causes les plus compliquées ; avec cela, crédule et, séducteur lui-même, facilement séduit.

Esterhazy lui demanda, par téléphone, de se charger de sa défense et l’avertit que, pauvre, il ne lui donnerait pas d’honoraires. Tézenas répondit qu’il serait heureux de plaider gratuitement pour un officier accusé à tort.

Et, tout de suite, il fut convaincu, tant Esterhazy, qui s’appliqua à lui plaire, sut l’intéresser. Tout ce que le fourbe lui conta, il le tint pour vrai ; les secrétaires de Tézenas (qui seront plus tard d’ardents revisionnistes) ne furent pas moins suggestionnés que leur patron. Esterhazy causait pendant de longues heures avec Tézenas des sujets les plus variés, encyclopédie vivante, sachant tout et parlant de tout avec beaucoup d’agrément et d’imprévu.

Pourtant, l’irrégularité des procédures suivies con-

  1. Lettre d’Esterhazy à Pellieux, du 24 novembre (Pièce 14).