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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


son écriture un peu déguisée. La police a mis la main dessus. C’est une amie de Curé. On pourra prouver que le Roumain n’a rien reçu.

Ainsi Du Paty a appris seulement à cette date (20 novembre) que la correspondante de Picquart est bien Mlle de Comminges. Il en est joyeux, ayant eu maille à partir avec cette famille[1]. Et il s’empresse d’en aviser Esterhazy, qui, lui aussi, en sera fort aise, ayant gardé rancune à Curé pour avoir médit de lui à Picquart. Cette lettre confidentielle (qu’il recommande à son correspondant de détruire) est d’une sincérité manifeste. Toute la sottise méchante de l’homme y paraît. S’il avait fabriqué lui-même, avec Esterhazy, la fausse dépêche, il ne jouerait pas à son complice cette imbécile comédie.

Esterhazy dut rire dans son épaisse moustache ; il garda la « directive[2] ».

La Roumanie est une satellite de la Triple Alliance. Les attachés militaires roumains travaillaient avec leurs collègues allemand, autrichien et italien. L’un d’eux[3] était un ancien élève de l’École de Saint-Cyr, qui eût voulu entrer dans l’armée française, à qui Galliffet avait barré la route, puis élève de l’École supérieure de guerre à Bruxelles et capitaine d’État-Major en Roumanie. On le soupçonnait (peut-être à tort) d’avoir procuré, en 1895, le manuel de tir à Panizzardi qui le fit copier par un de ses agents ; or, c’était un agent double (Corninge) qui avait averti Picquart.

  1. À l’enquête Renouard (9 septembre 1898), Du Paty continue à attribuer la dépêche à Mlle de Comminges. (Cass., II, 195.)
  2. Cass., I, 585. Esterhazy la versa au dossier de la Cour de cassation : il l’avait communiquée précédemment au conseil d’enquête et dit qu’elle avait été entre les mains d’un rédacteur de la Libre Parole, Boisandré ; celui-ci la reconnut. (Cass., II, 185.)
  3. Le prince Ghika. Un autre officier roumain, P…, fut accusé par la suite d’avoir livré les cours de l’École d’application de Fontainebleau.