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L’ENQUÊTE DE PELLIEUX


songes sur Picquart, il le redoutait encore. Une partie du public semblait incrédule aux monotones diffamations des journaux. Rien qu’un acte éclatant de la justice militaire pouvait le mettre, officiellement, en posture de suspect.

Le jour même où Pellieux commença sa seconde enquête[1], Esterhazy, coup sur coup, lui adressa deux lettres. Il a revu, le soir précédent, sa mystérieuse protectrice. Elle lui a révélé que Picquart, au sixième étage de la maison où il habite, détient, « dans une armoire de forme spéciale, des papiers et des documents dont la saisie prouvera que c’est le dernier des gueux ». « Si le ministère, lui a-t-elle dit, avait montré de l’énergie, il y a longtemps que cette saisie serait faite. » En conséquence, Esterhazy réclame une perquisition immédiate chez Picquart[2]. Pellieux reçut, en même temps, une lettre anonyme ; l’un des scribes d’Henry le menaçait de dénoncer à la presse la mollesse de son attitude[3].

Esterhazy invoquait, à l’appui de sa requête, un article du Code de justice militaire qui s’applique seulement aux accusés[4]. Mais la description de la petite chambre où se trouvaient des papiers était exacte. Picquart, un jour, y avait envoyé Gribelin.

  1. Cass., II, 97 (Enq. Pellieux), interrogatoire d’Esterhazy du 24 novembre ; je sus son récit que confirme Pellieux : « reconnaissez-vous ces deux lettres ? — Oui. — Je les verse au dossier. »
  2. Au procès Zola (I, 245), Pellieux dit : « Cette perquisition m’avait été demandée. » Il ne dit pas par qui.
  3. Christian, Mémoire. 97.
  4. L’article 85 du Code de justice militaire (modifié par la loi du 18 mai 1875) qui permet aux commandants de place, etc., « de faire tous les actes nécessaires à l’effet de constater les crimes et les délits et d’en livrer les auteurs aux tribunaux chargés de les punir ».