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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


le ministre lui demandait s’il était bien sûr de ses souvenirs, il raconta que, le lendemain de la parade, il avait noté, sur son calepin, la phrase textuelle du condamné[1] : « Le ministre sait bien que si je livrais des documents à l’Allemagne, ils étaient sans valeur et que c’était pour m’en procurer de plus importants[2]. » À la fin de l’année, il détruisit son calepin, mais après en avoir détaché cette unique feuille du 6 janvier ; il l’a conservée sans la jamais montrer à personne[3] et la remet maintenant à Cavaignac.

L’impudente grossièreté de la fraude sautait aux yeux ; Cavaignac n’aurait eu qu’à demander à cet homme pourquoi il avait, le 6 au soir, écrit sur son calepin cette phrase qu’il n’avait pas consignée dans son rapport officiel du 5, dont il n’avait pas parlé au Président de la République, le 6, au matin, et que, cependant, il avait jugée importante puisqu’il avait gardé la feuille où il l’avait notée. Et pourquoi avait-il pris soin de détruire le calepin qui aurait authentiqué cette feuille ? Et pourquoi encore, le 20 octobre 1897, quand il avait comparu devant Gonse et Henry, n’en avait-il rien dit ?

C’était l’évidence que le malheureux venait de confectionner l’imposture, par ordre de l’un des chefs qui avaient inventé la légende des aveux. Mais ce soupçon ne pouvait pas plus venir à Cavaignac que des ailes.

Cavaignac connaissait les vaines tentatives de Mercier, par Du Paty, pour obtenir un aveu de Dreyfus, au Cherche-Midi, après sa condamnation ; il connaissait la

  1. Rennes, III, 78, Lebrun-Renaud : « Nous causions ensemble… » Sur son calepin : « Dreyfus m’interpella sans avoir été interrogé. »
  2. Cass., I, 276 ; II. 141 ; Rennes, III, 74, Lebrun-Renaud.
  3. Cass., I, 277, Lebrun-Renaud.