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CAVAIGNAC MINISTRE


scène tragique de la dégradation, le récit qu’en avait publié le journal de Cassagnac et dont la lecture, au procès de Zola, avait fait passer le frisson dans toute la salle ; l’état signalétique du condamné, dont le double était au dossier, portait que l’homme, « n’ayant fait aucun aveu, devait être traité comme un malfaiteur endurci »[1] ; enfin, il avait les lettres de l’île du Diable, où le cri d’innocence, poussé dans la cour de l’École militaire pendant la parade, se répercutait, depuis trois ans, inlassable, en échos douloureux. Rien n’y fit. Cet honnête homme dans le commerce ordinaire, mais sans probité scientifique, ne voyait plus que ce qui servait son parti pris, son intérêt et sa haine. Il copia « de sa main »[2] le feuillet, nota scrupuleusement l’heure exacte — deux heures trois quarts[3] — où Lebrun le lui avait apporté.

L’officier remporta son faux ; mais cette preuve matérielle de sa vilenie lui brûlait les doigts : il la détruisit[4].

De tous les documents allégués contre Dreyfus, le bordereau, seule base légale de l’accusation, fut celui qui embarrassa le plus Cavaignac.

Il avait voulu voir de ses yeux la pièce originale et, procédant lui-même à des comparaisons, après avoir parcouru les expertises, il lui parut que « l’écriture res-

  1. Voir t. 1er, 550. — Bien que cet état signalétique fût antérieur de quelques jours à la dégradation, on l’eût modifié si le condamné avait fait des aveux le matin de la parade, plus d’un mois avant d’être embarqué pour l’île du Diable.
  2. Note manuscrite du 4 juillet 1898. (Cass., II, 141). — De même, Lebrun-Renaud (Cass., I, 276 ; Rennes, III, 81).
  3. « Le capitaine Lebrun-Renaud m’a apporté aujourd’hui, à deux heures trois quarts,… etc. »
  4. Cass., I, 276. Lebrun-Renaud : « Quelques jours après, je crus devoir détruire cette feuille que je ne jugeai plus utile à conserver. » — De même, à Rennes (III, 76 et 81).