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CAVAIGNAC MINISTRE


fait que le nom est désigné seulement par une initiale » ; mais il n’en est pas de même de la troisième pièce ; Dreyfus, cette fois, est nommé en toutes lettres ; et il sortit la lettre de Panizzardi, dont il supprima seulement, comme il avait été convenu, « un membre de phrase qu’il ne pouvait lire », — sans doute trop terrible.

Un frisson passa sur la Chambre, des exclamations retentirent, d’horreur ou de joie patriotique ; la conviction fut unanime, foudroyante ; pas un de ces six cents députés ne s’avisa que Pellieux, il y a six mois, avait déjà produit cette même pièce ; que Scheurer, Picquart, vingt journalistes l’avaient dénoncée comme un faux. Les meilleurs baissèrent la tête[1].

Alphonse Humbert, bravement, parla pour tous : « C’est clair ! »

Le pauvre homme qui était à la tribune, savourant son triomphe, promena son regard sur l’assemblée et prononça : « J’ai pesé l’authenticité matérielle et l’authenticité morale de ce document. »

Et il démontra l’une et l’autre ; l’authenticité morale par d’autres lettres des attachés militaires, qui confirmaient celle dont il avait donné lecture ; l’authenticité matérielle, parce que l’auteur de la lettre s’était servi de son papier et de son crayon bleu ordinaires. « La culpabilité de Dreyfus est établie par cette pièce d’une façon irréfutable. »

Quelqu’un qui à ce moment eût regardé Méline l’au-

  1. « Misère de l’ignorance et de la peur ! On ne savait pas, parce qu’on n’avait pas osé savoir. » (Jaurès, dans la Petite République du 7 avril 1903.) Et encore : « Si le parti républicain n’avait pas été ignorant, par couardise, il se serait épargné une des plus cruelles humiliations de son histoire… Il est presque incroyable que toute une Assemblée ait été surprise par la production d’une pièce fausse qui n’était pas nouvelle. »