Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1904, Tome 4.djvu/513

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
509
LE DESSAISISSEMENT


Lebrun-Renaud, Roget et Cuignet, irrités de n’avoir pas convaincu les magistrats aussi facilement que les ministres, étalèrent leur amour-propre blessé. « Des conseillers ont posé à Lebrun des questions inutiles, pour l’embarrasser et le mettre en contradiction avec lui-même. » La déposition de Roget a été accueillie avec « vivacité » par la plupart des conseillers ; Dumas « haussait les épaules » ; Bard questionna directement le témoin ; quand Roullier revendiqua le même droit, Lœw s’y opposa ; Lœw s’est refusé encore à le confronter avec Picquart ; et ce Bard, d’ailleurs, était un menteur ; notamment, il avait osé soutenir que, dès l’enquête de 1897 sur Esterhazy, le faux d’Henry avait été secrètement communiqué à Pellieux (qui l’avait avoué à Zurlinden). Et Cuignet fut plus amer encore : Bard, « l’un des plus jeunes magistrats de la Cour », a pris « la direction effective » de l’enquête ; assis à côté de Lœw, il a interrompu le délégué du ministre de la Guerre, ce dont Sevestre s’est formalisé ; Dupré a dit à un avocat dont Cuignet s’est engagé à ne pas révéler le nom : « J’ai voulu voter contre l’armée, qui est trop puissante. » Les conseillers ont regardé négligemment les pièces secrètes ; l’un d’eux, Boulloche, comme on demandait la date d’une de ces pièces (28 mai 1898), s’est écrié : « Oh ! depuis longtemps, nous sommes dans la période des faux[1] ! » Un autre, Dumas, non seulement « a coupé d’exclamations malveillantes la déposition du témoin », mais « s’est levé de son siège et l’a interpellé »[2]. Enfin, de ce que Picquart avait rectifié, dans sa déposition, quelques erreurs de date (qu’il avait

  1. Boulloche refusa toute explication. (Enq. Mazeau, 91.)
  2. Dumas avait changé simplement de place ; « ne voulant pas obliger Cuignet à se retourner pour répondre à sa question, il était allé s’asseoir entre Accarias et Sevestre. » (Ibid., 98.)