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CHAMBRES RÉUNIES


dire, « sur certains dangereux défenseurs « qu’avaient eus et Dreyfus et l’armée : « Non, l’armée, devant nous, n’est pas en cause ; elle n’est pas notre justiciable ; elle est, Dieu merci ! bien au-dessus de ces discussions qui ne sauraient l’atteindre, et son honneur, assurément, n’exige pas que l’on maintienne à l’île du Diable un condamné innocent. »

Aussi bien, ne demandait-il pas à la Cour « de proclamer l’innocence de Dreyfus », mais de décider « qu’un fait nouveau, de nature à l’établir », avait surgi : « Je mentirais à ma conscience si je vous proposais une autre solution. »

Mazeau ne réprima pas les applaudissements.

Manau développa ensuite ses conclusions, et Mornard plaida pour Lucie Dreyfus[1]. Mais quelque brûlante que fût la parole du vieux Procureur et quelle que fût la force de dialectique de l’avocat, ils ne renouvelèrent ni l’un ni l’autre l’intensité d’émotion qu’avait produite Ballot-Beaupré.

C’est à la fois l’injustice et la logique des choses. Bien que Ballot, sous son enveloppe un peu épaisse, fût un homme bon et sensible, il y avait dans le vieux cœur de Manau un autre trésor de générosité et de pitié militante, et nulle lumière n’était comparable à celle qui rayonnait du mémoire de Mornard et de son plaidoyer qui le complétait. Mais Ballot avait été celui dont viendrait le mot décisif.

La péroraison de Mornard évoqua la touchante espérance qui était alors au cœur de tous les défenseurs de Dreyfus : « C’est la joie au cœur que les juges militaires, proclamant une erreur loyalement commise, déclareront que leur infortuné frère d’armes, si grand au

  1. Cass., III, 199 à 321, Manau ; 617 à 703, Mornard.
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