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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


avaient ressenti, pendant une heure, avant de retourner au combat, « l’immense tristesse des choses qui s’en vont[1] ». Maintenant, une saute de vent imprévue a tout changé. Le nouvel hôte de l’Élysée ne sera pas un complice ; les républicains se sont retrouvés ; de l’autre côté, le désarroi le plus complet : Lemaître, par cuistrerie, et ce méchant fou de Quesnay ont si bien fait que les plus honnêtes gens parmi leurs premiers adhérents les quittent publiquement[2] ; Déroulède s’est enlisé dans une telle sottise que les apologistes ordinaires des coups de force le désavouent[3] ; à Bruxelles, malgré les appels désespérés de Buffet, le duc Philippe en a assez, boucle ses malles[4] ; et tout cela, c’est la justification éclatante des défenseurs de Dreyfus, le gage que la Raison aura raison, malgré « la légalité de rechange » qui a été fabriquée, sur commande de la haute-armée et de l’Église, par le malheureux qui dort au Père-Lachaise.

Un autre que Dupuy eût vu cela, qui crevait les

  1. Clemenceau dans l’Aurore du 11 février 1899 ; Jaurès dans la Petite République. Mon article du Siècle était intitulé : « Les derniers Romains. »
  2. Brunetière, Janet, Gaston Boissier (Temps du 23) ; la Libre Parole accusa Brunetière « d’incohérence et de déséquilibre du sens moral ».
  3. « Appeler l’armée à prendre part dans nos discordes est une faute, plus qu’une faute… Jamais je n’accepterai l’embauchage de l’armée… etc. » (Cassagnac, dans l’Autorité du 25). Millevoye tient à établir « qu’il n’était ni à la caserne ni parmi les soldats ; il ne peut donc être rendu responsable… » Lemaître condamne le « coup de tête » de Déroulède : « un sabre discipliné et sourd a tout arrêté ». De même Judet.
  4. Le 24, dépêche de Buffet : « Gouvernement affolé. Supplie Mgr de rester. » — Le duc télégraphie le 25 : « Maintiens dépêche hier. Partons ce soir ». Nouvelle dépêche de Buffet : « Rien nouveau. Gouvernement ne sait que faire Déroulède » (II, 112). Le 26, le duc se rend à Turin et, de là, à Palerme, Lisbonne et Séville (III, 4).