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DÉFENSE RÉPUBLICAINE


pudeur ne leur vint, ni des ambassadeurs qui entouraient le Président, ni des femmes qui étaient dans sa tribune, ni des cheveux blancs de cet homme de soixante ans qui était l’hôte de la Société des courses. Enfin, comme si ce n’était pas assez de ce vacarme de mauvais lieu, l’un de ces gentilshommes s’élança vers la loge présidentielle, qui était gardée seulement par des huissiers de l’Élysée, escalada les marches à grandes enjambées, et, par deux fois, leva sa canne. Loubet ayant paré le coup, son chapeau seul fut atteint. Ses officiers, avec Zurlinden et Brugère, s’étaient entre temps précipités sur l’assaillant, qu’ils rejetèrent de la tribune et qui tomba entre les mains des agents enfin accourus[1]. Loubet, toujours très calme, exprima ses regrets à sa voisine, la comtesse Tornielli ; la grande dame italienne lui répondit qu’elle se trouvait, près de lui, « à une place d’honneur ».

Cette vilenie, qui n’était peut-être pas dans le programme, avait été préméditée par son auteur. Il en convint au premier moment : « Si nous avions été une quarantaine, nous aurions enlevé la tribune. Je sais qu’on va me mettre en prison, mais je recommencerai[2]. » C’était

  1. Haute Cour, I, 83, rapport du chef de la 3e brigade, etc. — « Soudain, on vit un jeune blond, très élégamment vêtu, gravir les marches de l’estrade présidentielle, s’accrocher à la rampe et lancer à tour de bras un vigoureux coup de canne à l’élu du Syndicat. » (Libre Parole du 5 juin 1899.) — 10e Chambre correctionnelle, dépositions conformes du docteur Damain, du commandant Sainte-Marie, du lieutenant-colonel Nicolas, du directeur du protocole, etc. — Selon Dupuy, dans son discours à la Chambre, Christiani aurait profité « d’un instant, rapide comme un éclair, où la tribune présidentielle était dégarnie », la garde personnelle du Président de la République étant allée prêter main forte à la police qui essayait de refouler les manifestants.
  2. Déposition de l’inspecteur Gournot à l’audience du 13 juin 1899 (10e Chambre) : « C’était mon idée, lui avait dit Christiani ; si nous avions été une quarantaine… » — « C’est vous