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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


raison que la patience des officiers était mise à une trop dure épreuve, et par peur de sévir.

Que des soldats, irréprochables dans leur service, se cabrassent à la fin sous le soupçon d’être tous sans conscience et sous tant d’abominables généralisations de Gohier et de ses émules, c’était dans la nature des choses, et l’honneur militaire, en effet, n’eût été qu’un vain mot s’ils ne se fussent sentis blessés et humiliés. Mais que ces colonels et ces généraux, à qui la discipline commandait de se taire, même sous l’injustice et l’outrage, que ces grands muets professionnels en fussent là d’engager des polémiques publiques et grossières avec des journalistes, c’était le symptôme certain du mal le plus grave qui puisse tourmenter les armées, quand, créées pour la guerre, elles s’usent dans la paix ; cet organe qui ne s’acquitte pas de sa fonction, « ce sang qui ne se répand pas et bouillonne sans cesse », risquent de chercher dans la guerre civile l’emploi du trop-plein exaspéré de leur ardeur et de leur force[1]. Ainsi l’on ne glissait plus vers l’anarchie ; on y était en plein.

VII

Dans un tel trouble et avec de telles craintes, on s’arrêta à peine aux premiers résultats de l’arrêt, qui eus-

  1. « Les armées permanentes embarrassent leurs maîtres. Chaque souverain regarde son armée tristement ; ce colosse assis à ses pieds, immobile et muet, le gêne et l’épouvante ; il n’en sait que faire et craint qu’il ne se tourne contre lui. » (Vigny, Servitude et Grandeur militaires, liv. III. chap. X.)