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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


Régime se montre sans masque, pousse en avant ses prêtres ou ses nobles. La sottise, l’insolente provocation d’Auteuil fut plus démonstrative à cet égard que toute l’Affaire. Où Gérault était bien peuple, ce fut dans le cri de guerre qu’il jeta à la foule, non pas : « Sus à l’injustice ! à la tyrannie militaire ! », mais : « Sus aux nobles ! sus aux curés ! »

Les milliers d’adresses qui arrivaient à Loubet des grandes villes et des plus petits villages racontaient l’émotion de la province. La protestation de Paris sera, cette fois, celle du pays républicain.

On avait vaincu avant de se battre, puisque la jeunesse royaliste avait décidé de suivre les prudents conseils de Meyer et de Coppée et de ne pas se commettre avec les républicains en nombre ; pourtant, on se méfiait de quelque traîtrise. Les fédérations ouvrières, les comités socialistes redoublèrent d’activité, renouvelèrent leurs appels ; les journaux en étaient pleins. Cette chaleur latente de la Révolution qui est dans Paris, même aux époques les plus basses, s’était ranimée. Il n’était question, dans la vieille phraséologie rajeunie, que de donner une leçon « aux descendants des kaiserlicks et des émigrés, aux gens de Coblentz portant encore au dos la livrée prussienne, aux fils des chouans, aux misérables rejetons des félons de l’armée de Condé… Il faut qu’on tremble dans les salons du noble faubourg et dans les fabriques des jésuites[1] ! »

Dupuy, qui eût été bien embarrassé d’empêcher la manifestation, fit d’abord mine de s’y prêter ; il exagéra ensuite à plaisir, et malgré Loubet, les précautions militaires et de police, mit sur pieds 6.000 gardiens de

  1. Union des groupes socialistes et révolutionnaires, fédérations des travailleurs socialiste.