fait, Rennes, comme on l’a vu, avait été indiquée par Dupuy en raison seulement de la proximité de Brest, où il se proposait alors de faire débarquer Dreyfus ; mais Mercier lui-même n’aurait pas choisi un théâtre mieux préparé pour la recondamnation de sa victime. Il y avait, sans doute, très peu de juifs en Bretagne[1], donc nulle cause locale d’hostilité contre l’accusé, à cause de ceux de sa race, négociants et manieurs d’argent, trop heureux ou trop rapaces, comme c’eût été le cas en Lorraine ; mais si l’antisémitisme y était inconnu dans sa forme économique, la haine des juifs, sous la forme religieuse, y était plus invétérée qu’ailleurs ; elle faisait corps avec un catholicisme encore intact, à la fois mystique et brutal, et qui, depuis les grandes guerres navales contre l’Anglais, était « le symbole de la nationalité[2] ». Ainsi Dreyfus et Judas, c’est tout un, et, de même, l’Anglais et l’Allemand, tous deux protestants.
Les amis de Mercier virent tout de suite quel parti il y avait à tirer d’une population à la fois religieuse et patriote, en majorité ignorante et aux mains des prêtres, et déjà remuée par la nouvelle inattendue que la fameuse tragédie allait se dénouer sur son sol. — Précédemment, en janvier 1898, il avait suffi d’un vague mot d’ordre pour lancer toute une chouannerie, deux mille paysans, contre les maisons de deux profes-
- ↑ Onze familles à Rennes.
- ↑ Michelet, Histoire de France, II, 16.
entre ces billets et les pièces de comparaison, plus ils étaient convaincus de la culpabilité de l’accusé. « C’était pour eux la preuve qu’il avait contrefait son écriture, mais, disaient-ils, d’une façon dont lui seul était capable. » (A. De la Borderie, cité par Claretie, Temps du 9 août 1899.) On retrouva l’auteur d’une au moins de ces lettres anonymes, un nommé Bouquerel, qui avoua ; mais on ne voulut pas le croire ; on voulait lui faire avouer que La Chalotais tout au moins la lui avait dictée.