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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


çais que de la haine, une fureur meurtrière, et qu’ils savaient contagieuse.

Les plus enragés, encore une fois, furent les journalistes, plusieurs rien que pour avoir raison jusqu’au bout, parce que « la férocité naturelle fait moins de cruels que l’amour-propre[1] ». Ils avaient reconnu, du premier jour, que le plus sûr moyen d’obscurcir les intelligences, c’est d’endurcir les cœurs ; ils cultivèrent la méchanceté ; à présent qu’étaient tombés un à un les faux témoignages et les faux, ils ne s’embarrassaient plus de surprendre la raison, piquaient simplement la brute : « L’épuisement physique de Dreyfus n’est qu’un moyen de défense » ; s’il est innocent, « son innocence est un crime contre la patrie » ; s’il se trouve sept officiers pour l’acquitter, « le devoir de tout patriote sera de le tuer[2] ». — À cette fin, la femme d’un peintre, très élégante et recherchée dans les salons, s’exerçait au pistolet[3]. — Une immonde complainte : Il revient, le youpin ! fut expédiée par ballots en province, surtout en Bretagne.

Les revisionnistes, pour se rassurer sur le choix qui avait été fait de Rennes, racontaient que le commandant du corps d’armée, le général Lucas, était républicain et porté à croire Dreyfus innocent ; — autant dire que la vieille cité parlementaire a été désignée pour le souvenir de La Chalotais, qui, lui aussi, fut une victime des Jésuites et dont la statue expiatoire s’élève devant le palais de Justice[4]. — En

  1. La Rochefoucauld, lcxxiv.
  2. Gaulois du 27 juin 1899, Éclair du 28, Patrie du 26.
  3. André Chevrillon, Huit jours à Rennes, dans la Grande Revue du 1er février 1900.
  4. Il avait été accusé, notamment, d’avoir écrit à Saint-Florentin des lettres injurieuses, d’une orthographe et d’une rédaction ridicules. Moins les experts trouvaient de ressemblance