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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


son, un grand mur. Au-dessus de la porte principale, une inscription lui apprit qu’il était à Rennes. (1er juillet.)

III

Il était environ six heures du matin quand le gardien chef l’introduisit dans la cellule qui lui avait été assignée et dont la fenêtre était fermée par un grillage en bois, très serré, qui ne permettait pas de voir dans la cour[1]. Il se jeta sur le lit de camp, sans trouver le sommeil.

Vers neuf heures, il fut prévenu de la visite de sa femme ; un violent tremblement le saisit ; il pleura, pour la première fois depuis des années, puis se ressaisit[2], toujours par le même orgueil qui l’avait empêché de faiblir, même aux heures les plus atroces de son martyre.

On se souvient que le directeur du dépôt de l’île de Ré l’avait empêché de serrer la main de sa femme, à son départ pour la Guyane, parce que l’ordre du ministre, qui avait autorisé une dernière entrevue, avait négligé de préciser pour eux « le droit de s’embrasser[3] ». Ils tombèrent, cette fois, aux bras l’un de l’autre, dans une telle étreinte, un tel élan de leurs deux êtres, une telle émotion surhumaine de douleur et de joie, que l’officier

    à plein gosier : « À bas les juifs ! Il faut les pendre, Sans plus attendre… » (Libre Parole du 2.)

  1. Cinq Années, 324.
  2. « Si fort que je fusse, un violent tremblement me saisit, les larmes coulèrent, les larmes que je ne connaissais plus depuis si longtemps, mais je pus bientôt me ressaisir. »
  3. Voir t. Ier, 572.