Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1905, Tome 5.djvu/28

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
18
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


Dupuy, lui seul eût pu la rétablir ; il l’essaya et, si les applaudissements avaient fait le vote, il l’eût emporté. Mais beaucoup l’applaudirent dont le bulletin était déjà prêt pour Dupuy, par crainte de Drumont.

« Sur l’affaire purement judiciaire, je réserve mon opinion. » Tout le monde la connaissait ; seulement, le débat était bien au-dessus de Dreyfus. « Ce que je ne réserve pas, ce sont les droits de la justice, par conséquent le devoir du parti républicain. »

Il discuta, d’abord, le projet en lui-même, en soi, ce qui n’avait pas encore été fait :

Si ce haut tribunal (la Chambre criminelle) peut juger sur l’heure, sans autre éclaircissement, il est le véritable juge, le seul juge de la Revision ; au contraire, s’il lui paraît nécessaire de rechercher avec plus d’insistance la vérité, s’il veut entendre des témoins, éclairer à la fois son jugement et sa conscience, on l’arrête et on lui dit : « Soit, te voilà éclairé, donc tu ne jugeras pas ». Ainsi, plus sa capacité de juger s’accroît, plus son pouvoir de juge diminue.

Une telle contradiction suffisait à ruiner le projet. Loi de dessaisissement, ont dit les uns ; loi de suspicion, ont dit les autres : « Cette loi n’a-t-elle pas des origines plus anciennes ? Je me demande si elle ne se rattache pas, par quelque lien, à un système, à une accoutumance dont notre parti n’a déjà que trop souffert, et si son véritable nom, à elle comme à tant d’autres qui l’ont précédée, n’est pas : loi de faiblesse. » Voici la chose précise qu’on demande au Sénat : « Enlever un procès déterminé à un juge déterminé, celui que la loi a donné à l’accusé, pour le remettre à un troisième juge que des assemblées politiques auront choisi. »

Au sens ordinaire qu’on lui donne, nulle éloquence