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CHAMBRES RÉUNIES


ne fut moins de l’éloquence. Des paroles qui montent comme les flots, rien qu’un souple enchaînement d’idées. La démonstration ne résulte pas de la concentration des moyens de la cause sur un seul point ; elle sort, se dégage de tout le discours. On dirait que cet homme qui ne fait pas un geste, froid, tranquille, presque immobile, ne s’adresse pas à l’entendement par l’ouïe, mais par la vue ; ce n’est pas un bruit, c’est de la lumière qui passe.

À son tour, il rendit hommage « au ferme stoïcisme de ces magistrats calomniés ». « S’il y a vraiment des hommes pour lesquels le fardeau des responsabilités est trop lourd et qui manquent de l’énergie nécessaire pour braver l’injure, ce n’est pas à la Chambre criminelle qu’il faut aller les chercher. » On veut un arrêt qui désarme l’opinion, apaise les esprits ? « Je rêve… Voilà trente ans que j’entends dire que la justice est le dernier rempart du droit privé et du droit individuel contre les égarements et, quelquefois, contre les fureurs de l’opinion. »

Il faut citer (impossible d’abréger, de résumer) la péroraison du discours :

Je voudrais être optimiste, je ne le peux, car une chose grandit et grandit sans cesse dans ce pays : c’est le pouvoir de la menace et de la calomnie, une sorte d’inquisition obscure ; elle est partout. Il n’est pas de fonction assez haute, il n’est pas de situation assez humble pour, si on lui résiste, échapper à ses coups. On fouille les généalogies, on viole les secrets des familles ; ceux qu’on ne peut briser, on les salit. Est-ce le moment de diminuer l’autorité de la justice ?

Pour moi, je m’y refuse.

Nous en avons fait trop ; nous avons assez reculé, nous avons assez descendu ; remontons !