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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


et c’était l’avis des quelques amis qui lui étaient restés et qui l’en pressaient[1].

Alors même qu’Esterhazy ne viendrait pas à Rennes avec des intentions hostiles, Mercier vit fort bien qu’il y mettrait l’ancien État-Major en fâcheuse posture et d’abord, qu’il rendrait impossible le coup du bordereau annoté. Mercier, en effet, s’était arrêté, à la réflexion, à une nouvelle version où Esterhazy ne jouait plus aucun rôle[2]. S’étant abouché avec Bertillon, il avait adopté le système de l’anthropométreur sur l’écriture artificielle dont Dreyfus aurait fait usage pour ses trahisons ; dès lors, le bordereau sur papier pelure reproduisait exactement, sauf l’annotation impériale, le bordereau sur papier fort et ainsi disparaissait l’impossibilité matérielle où l’abominable histoire se heurtait au premier pas, car, tantôt, dans les diverses versions qui avaient couru, l’écriture naturelle d’Esterhazy était réputée l’écriture naturelle de Dreyfus, quand le bordereau sur papier pelure était une copie, et tantôt ; quand c’était un calque, l’écriture décalquée de Dreyfus devenait celle d’Esterhazy. Au contraire, avec le gabarit de Bertillon, le bordereau sur papier pelure et le bordereau sur papier fort donnent la même écriture, qui n’est l’écriture naturelle ni de Dreyfus ni d’Esterhazy, mais l’écriture artificielle du

  1. Esterhazy communiqua à Cabanes la lettre suivante d’un ami, qui ne signait pas, mais dont l’écriture lui était évidemment connue : « Mon cher ami, les journaux disent-ils vrai en racontant, que vous n’allez pas venir ? l’heure est si grave que tous les témoignages sont indispensables pour éclairer l’opinion. Je vous supplie dans votre intérêt et au nom de notre vieille amitié de ne pas vous dérober, afin que personne n’ait rien à vous reprocher, que votre conscience soit tranquille et vos amis contents de vous. ».
  2. Voir p. 334.