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RENNES


juif ; l’intervention d’Esterhazy (pour substituer le bordereau sur papier pelure au bordereau rendu à l’Allemagne) est sans objet ; la ressemblance, selon Bertillon, de toutes ces écritures — d’Esterhazy, de Mathieu et d’Alfred Dreyfus[1] — n’est plus qu’une coïncidence singulière. Ainsi, au moyen de l’absurdité de Bertillon, Mercier atténuera l’absurdité du faux impérial et, du même coup, il s’allégera d’Esterhazy[2].

Il n’y avait pas moyen, d’autre part, de tenter l’aventure si Esterhazy venait à l’audience. En effet, il y sera mis en demeure de s’expliquer sur le système de défense qu’il a adopté depuis la mort d’Henry et qui a voisiné si longtemps avec la légende du bordereau annoté ; pour justifier qu’il a écrit le bordereau par ordre, il ne lui suffira pas de dire qu’il a en vain demandé à sa femme de rechercher « des lettres de Sandherr dans ses papiers de Dommartin[3] » ; il en appellera forcément à Mercier et à Boisdeffre, les sommera de convenir de son prétendu rôle au service du contre-espionnage ; eux, sans se perdre, n’y pourront consentir ; sur quoi, furieux, il est homme à tout avouer, n’y risquant plus rien, et à ne rien laisser de leurs toiles d’araignée. Mercier lui-même, malgré son audace, n’eût pas tenu à une confrontation avec lui. Même si Esterhazy consentait à recommencer la tragique scène muette du procès Zola, rien qu’à se faire voir à Rennes, il sauve Dreyfus.

Il parut donc nécessaire de lui envoyer « quelqu’un »,

  1. Rennes, I, 140, Mercier et II, 364-369, Bertillon.
  2. Voir p. 502 l’article de la Libre Parole du 6 septembre 1899, les deux Bordereaux, où il n’est pas question d’Esterhazy, au contraire de l’article du Gaulois du 14 août.
  3. Lettre à Cabanes, du 8 juin : « Elle n’a pas daigné me répondre. »