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l’avait encagé comme une bête, enchaîné, meurtri dans sa chair, condamné par une illégalité supplémentaire à une solitude et un silence qui semblaient devoir être éternels ; mais, comme l’esprit, qui soutenait seul ce corps en loques, refusait de s’éteindre et s’épurait au contraire à chaque nouvelle torture, on s’était attaqué délibérément à ce plus profond de l’homme que l’Inquisition elle-même a tenu pour sacré. Lorsque le valet de bourreau choisi par Lebon avait intercepté pendant des semaines les lettres de Lucie ou de Mathieu Dreyfus, le seul lien matériel qui rattachât encore le misérable à un peu d’espérance, il lui disait : « Votre famille vous abandonne, vous renie… », et guettait sur le visage du maudit le succès de l’effroyable invention qui devait en venir à bout. Enfin, après le premier arrêt de la Chambre criminelle, Dreyfus n’avait eu pour suivre les péripéties du drame que les variations de son supplice finissant, des soubresauts de rigueur et de relâchement qui correspondaient aux alternatives de recul et de progrès dans la marche laborieuse de la vérité. Quand la zone de lumière s’étendait, les liens qui l’attachaient au Caucase tropical se détendaient. La revision semblait-elle s’éloigner, Deniel redoublait de dureté[1].

C’était l’homme qui revenait de cet enfer qu’on allait voir.

Il était sept heures du matin, le 8 août, quand le pré-

  1. Le Matin du 7 août (avant la première audience) publia le rapport officiel du ministère des Colonies sur le séjour de Dreyfus à l’île du Diable. L’auteur du rapport (Jean Decrais, fils du ministre) y reproduisait de nombreux extraits de la correspondance des autorités administratives et médicales de la Guyane, de Deniel, etc. Tous les récits de Dreyfus s’y trouvèrent confirmés, et au delà.