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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


effet, pour qui n’avait pas pénétré cette nature complexe et contradictoire, le plus loyal des hommes, mais avec des nerfs exaspérés de femme. Ce manque de générosité, une telle préoccupation de soi dans un tel drame, parurent aux socialistes la justification de leurs furieuses attaques d’autrefois contre la dure dynastie des Perier[1], et ils lui appliquèrent la formule de Port-Royal « sur ces honnêtes gens devant le monde, mais qui ne passeraient pas devant Dieu[2] ».

Disons tout de suite qu’à l’audience suivante il s’était ressaisi et s’empressa d’accepter les explications complémentaires de Demange qui avait trouvé la lettre au dossier et prenait sur lui toute la responsabilité du malentendu[3]. Le regret de s’être laissé emporter pour si peu perça alors dans sa réponse à Demange et dans le regard qu’il jeta à Dreyfus. Mais il ne lui en avait pas moins causé un nouveau tort.

Dès que Casimir-Perier eut achevé sa déposition, Mercier, en uniforme, parut à la barre. Enfin, l’obus à mitraille de la vérité allait éclater.

Mercier, après avoir prêté serment, s’assit (Casimir-Perier avait déposé debout), vida sur une tablette un lot de documents très bien classés, les uns qui lui venaient d’amis personnels ou des témoins de Quesnay, les autres qui lui avaient été communiqués soit par l’ancien État-Major soit par le bureau des renseigne-

  1. Jaurès : « Casimir-Perier, tout entier à des préoccupations personnelles bien puériles… Les attitudes hautaines et le vide orgueilleux de la pensée qui ne sont conciliables ni avec l’émotion humaine ni avec la dignité vraie… etc. »
  2. Sainte-Beuve, Port-Royal, II, 550.
  3. Rennes, I, 165, Demange : « Je ne voudrais pas que cela pût retomber sur ce malheureux capitaine… — Monsieur le Président, je n’ai rien à ajouter ; je remercie Me  Demange qui m’a donné satisfaction complète. » (Mouvement prolongé.)