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RENNES

Ce misérable incident ayant été exploité par les partis avec une extrême perfidie, il était de bonne politique de prendre les devants à l’audience et de l’y faire éclaircir. Mais Casimir-Perier eût pu poser la question simplement, sans âpreté ni solennité, et, pour tout dire, humainement. Au contraire, il ne se contenta ni de l’explication que lui donna Demange[1], qui était conforme à celle que j’avais déjà produite et qu’il aurait pu trouver de lui-même, ni de la protestation de Dreyfus : « Il n’est jamais entré dans ma pensée que le Président de la République eût pris à mon égard un engagement et qu’il ne l’eût pas tenu[2] » ; et, comme le pauvre homme, abasourdi, désemparé devant tant de hautaine et puérile violence, ne se souvint pas sur l’heure de sa lettre à Deniel, que Demange et Labori avaient également oubliée[3], il insista sans pitié : « Ma satisfaction n’est pas complète… Je n’invoque rien de mon autorité passée ; j’invoque la dignité de la fonction que j’ai remplie ; je demande à ne pas sortir de cette audience avant que l’on sache qui a menti ici ; je l’exige… Je demande au conseil de guerre de bien vouloir faire rechercher la lettre à laquelle je fais allusion ; cela peut être dans l’intérêt de l’accusation ; je regarde plus haut et plus loin[4]… »

Les spectateurs, même des plus hostiles à Dreyfus, s’étonnèrent d’une telle véhémence, inexplicable, en

  1. Rennes, I, 71, 72, Demange.
  2. Ibid., 73, Dreyfus.
  3. Ibid., 72, Demange : « S’il y a eu quelque part imprimé qu’un engagement aurait été pris par M. le Président de la République vis-à-vis du capitaine Dreyfus, cela n’a pas été sous sa plume, cela a été dit par ceux auxquels faisait allusion tout à l’heure M. Casimir-Perier, qui écrivent souvent ce qu’ils ne croient et ce qu’ils ne pensent pas. »
  4. Ibid., 73 et 74, Casimir-Perier.