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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


portera le plus, prêtera le plus aux commentaires : « C’est là, diront ses amis, dans les replis profonds de cette crise diplomatique, qu’il faut chercher le foyer de l’abcès ; tout le reste est infection par rayonnement[1]. »

Mercier, qui, jusqu’à ce point de sa déposition, a suivi fort exactement l’ordre chronologique, commet ici l’une de ses plus étonnantes supercheries ; il place la démarche allemande avant le procès de Dreyfus, alors qu’elle lui est postérieure de quinze jours[2], et il justifie par là sa forfaiture, sur laquelle il avait refusé jusqu’alors de répondre[3]. S’il a donné au colonel Maurel « l’ordre moral » de communiquer les pièces secrètes aux seuls juges, c’est qu’il n’y avait pas alors d’autre moyen de concilier les intérêts de la défense nationale et ceux de la justice. D’une part, il ne pouvait pas « laisser les juges dans l’ignorance des charges qui pesaient sur Dreyfus » et « il n’avait pas confiance dans le secret relatif du huis clos » ; d’autre part, cette rude alerte lui avait ouvert les yeux sur les dangers du dehors ; la situation militaire était fort mauvaise. — « Nous nous trouvions dans un état d’infériorité absolue », en pleine transformation du plan de mobilisation et dépourvus d’artillerie à tir rapide, et la situation diplomatique n’était pas moins inquiétante. « Nous ne savions pas », au lendemain de la mort de l’empereur Alexandre III, « si la Russie marcherait[4] ». L’on ne devait pas, dès lors, « à ce moment-là, désirer la

  1. Barrès, 175.
  2. 21 décembre 1894, condamnation de Dreyfus ; 5 janvier 1895, dépêche du chancelier allemand ; 6 janvier, entrevue de Casimir-Perier et de Munster.
  3. Au procès Zola (voir t. III, 366) et à la Cour de cassation (voir t. IV, 365).
  4. Cette prétendue inquiétude est de pure invention. (Voir Rambaud, Histoire de Russie, 828.)