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RENNES



VII

Les amis de Dreyfus, toujours prompts à l’espoir, avaient déjà oublié leurs inquiétudes de la veille et triomphèrent bruyamment de cette journée : à Paris, l’arrestation des conspirateurs, avertissement à tous qu’il y avait un gouvernement, offensive qui ne faisait que commencer ; à Rennes, « l’effondrement, l’effritement » de Mercier, tant de bruit pour rien, le mot révélateur, la preuve formidable qui devait tout pulvériser, toujours à fournir. Cornély, Jaurès, Clemenceau, répétèrent à l’envi et avec toute l’apparence de la logique : « Le général avait promis de tout dire ; évidemment, il a dit tout ce qu’il savait ; et il n’a rien dit qu’on ne sût déjà ; il a donc perdu la bataille et Dreyfus est acquitté[1]. »

    la situation », la plupart des journaux revisionnistes se bornèrent à raconter l’incident. — Bourdon, arrêté par Hennion, fut presque aussitôt relâché. Le surlendemain, après la tentative d’assassinat contre Labori, Mercier retira sa plainte.

  1. Figaro, Petite République et Aurore du 13 août 1899 ; de même le Siècle, le Temps : « La journée semble bien avoir été décisive, mais non pas de la façon que les anti-revisionnistes l’espéraient. » — Je fus averti, dans la soirée du 12, qu’on s’inquiétait à l’ambassade d’Allemagne d’un mouvement de colère de l’empereur Guillaume, quand il saurait que Mercier l’avait accusé de correspondre avec des espions. Je prévins aussitôt Waldeck-Rousseau et émis l’avis qu’il serait peut-être sage d’ouvrir spontanément des poursuites contre Mercier, en raison non de ses propos, mais des documents secrets qu’il avait produits à l’audience et qu’il n’avait pu se procurer que par des moyens et des complaisances illicites. Cela permettrait de répondre à une demande éventuelle de poursuites (pour injures à un souverain étranger) que l’action publique était déjà en mouvement et d’éviter ainsi un incident pénible. Waldeck-Rousseau considéra que des poursuites contre un témoin, fussent-elles cent fois justifiées en droit, seraient, en fait, impolitiques et qu’il fallait laisser aller les choses.
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