Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1905, Tome 5.djvu/365

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
355
RENNES


(les frères de Ploërmel) qui ne fût fouillé, et, de même, tous les garnis de la ville haute, les guinguettes du bas quartier qui offrent, pour quelques sous, l’hospitalité d’une nuit aux chemineaux et aux bohémiens, mais toujours sans résultat.

En ville, les ouvriers ou petits bourgeois, indignées de l’attentat qui déshonorait la vieille cité bretonne[1], déposèrent sans réticence, avec le désir évident d’aider la justice. La plupart des gens de la campagne se montrèrent, au contraire, réservés, désireux surtout de n’être pas mêlés à l’odieuse Affaire ; il fallut leur arracher des lambeaux de renseignements sur les gens suspects qu’ils avaient rencontrés. L’un d’eux, un cultivateur qui rentrait chez lui, convint qu’il aurait pu arrêter l’assassin ; l’homme, en courant, cria : « Laisse-moi passer, je viens de tuer Dreyfus. — Alors passe[2] ! »

Vers le soir, le fossoyeur de Cesson[3] raconta à Viviani qu’à onze heures du matin, alors que les gendarmes avaient déjà annoncé au village la nouvelle du crime, il avait vu le meurtrier dans son cimetière, étendu contre une fosse fraîchement creusée, la casquette rabattue sur le visage et un revolver dans sa main droite ; qu’il en avait parlé à « des gens qui lui faisaient du bien » et que ceux-ci lui avaient ordonné de s’en taire[4]. Mais on s’aperçut qu’il n’avait pas la tête solide et qu’il avait bu.

  1. Voir p. 356 la proclamation du maire Lajat.
  2. Matin du 23 août 1899.
  3. « Le père » Bourre. (Récit du Temps.)
  4. Autre version : « Pourquoi n’avez-vous pas couru chercher les gendarmes ? — Leurs affaires ne sont pas les miennes. — Mais si l’on vous avait mis en prison ? — Le vieux fossoyeur secoue la tête et, avec une manière de grandeur simple : J’aurais eu au moins du pain. Je n’en ai pas toujours, et j’aime mieux ça que d’aller vendre mon prochain. » (Matin du 18.)