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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


remarqué un homme qui marchait d’un pas rapide le long de la rivière, mais sur l’herbe, et non sur le chemin de halage détrempé par la pluie, où ses pieds auraient marqué (la preuve, selon la police, « qu’il connaissait l’art de fuir ») ; il semblait inquiet et se retournait souvent ; pourtant, si loin qu’on regardât, personne n’était à sa poursuite. Se sentant observé, il sauta dans un pré. « Encore un qui est de la bande du Soleil », aurait dit la femme Noyet à ses voisins[1]. (Une bande de souteneurs et d’escarpes qu’on redoutait beaucoup.) Cependant cet homme de Cesson pouvait n’être qu’un vagabond ordinaire, et l’on eut, en effet, des renseignements contradictoires : que le meurtrier se serait arrêté, au sortir de Rennes, dans une ancienne auberge abandonnée, au lieu dit Roquemignon, où l’on avait pu cacher des vêtements de rechange[2], et qu’il avait été vu ensuite à Noyat-sur-Seiche, c’est-à-dire sur la route de Saint-Nazaire.

Il n’y avait donc qu’à chercher partout, même à Rennes, où l’inconnu avait pu audacieusement rentrer, et c’est ce qu’on fit. Toutes les routes furent gardées et tout le pays, à dix et à vingt kilomètres, fut méthodiquement battu, la campagne encore couverte de moissons, les forêts de la rive droite, les bois de sapins et de petits chênes de la rive gauche, les fourrés de Cesson, les vieilles carrières de Couën, une suite de cavernes et d’éboulis recouverts de ronces et de chardons, avec des pentes à pic qui s’écoulent sur les étangs à l’eau dormante, tachée de nénuphars[3]. Pas un village, pas une ferme, pas une école d’ignorantins

  1. Instr. Guesdon, dép. Noyet, Tuloup, etc.
  2. C’est l’hypothèse de Barrès. (171.)
  3. Récits du Temps, du Figaro, etc., suivis, à peine démarqués, par Barrès.