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RENNES


Mercier, à la fois pour supprimer le plus redouté des avocats de Dreyfus et pour s’emparer de son portefeuille ; que l’assassin, ce gueux qui dînait pour quelques sous, couchait dans les champs et avait marchandé, l’avant-veille seulement du crime, un mauvais pistolet, avait été grassement payé pour commettre son crime et risquer sa vie ; qu’au surplus, la police elle-même avait favorisé sa fuite. Ce tas d’absurdités devint un article de foi, comme, dans l’autre camp, que j’avais fait étrangler d’Attel dans un compartiment de chemin de fer et empoisonner Félix Faure par une drôlesse juive. Quiconque expliquait que le meurtrier pouvait n’être qu’un fanatique isolé et que l’horrible prose des Croix, de Drumont et de Judet[1] avait suffi à suggestionner un cerveau rudimentaire et brutal, on le regarda de travers ; il cessa d’être un « pur », devint suspect de faiblir.

Picquart a raconté plus tard qu’au moment où il était rentré au lycée, après sa vaine poursuite de l’inconnu, « il s’était trouvé en face de Mercier, que celui-ci l’avait fixé longuement et qu’il n’oublierait jamais l’expression de défi et de triomphe que contenait son regard[2] ». La vraisemblance, c’est que Picquart dévisagea durement Mercier et que Mercier le lui rendit, le toisa de son regard aigu[3].

  1. Le 4 août 1899, Pollonnais écrivait dans le Soir que, si la guerre était le résultat du procès de Rennes, « évidemment, avant de partir pour la frontière, on aurait à cœur d’essayer sur les troupes du Syndicat l’efficacité des Lebel et l’effet des balles plus ou moins dum-dum ».
  2. Procès Labori, 13 décembre 1899, Picquart.
  3. « Sous l’arcade du corridor, le général Mercier apparaît un instant, lugubre. Quelques poings se tendent vers lui. Mais il ne voit rien, perdu dans une songerie sans fin. » (Serge Basset, dans le Matin du 15 août.)