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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


pour faire le crime plus affreux, soit pour s’en débarrasser sur l’ennemi.

Les accusations, dirigées de part et d’autre contre la police, sont gravement injustes, sauf de n’avoir pas attaché un agent spécial à Labori ; mais le tort n’en incombait qu’à Viguié pour ne s’être pas conformé aux minutieuses prescriptions de Waldeck-Rousseau et avoir imaginé que Mercier était plus sérieusement menacé que les défenseurs de Dreyfus. Le malheur arrivé, la police fit tout son devoir. Ce n’était pas sa faute si l’assassin avait couru plus vite que Gast et Picquart, si les quelques Rennais qui auraient pu l’arrêter au passage avaient eu peur de son revolver, et si le domestique de Labori, pris de la même peur, avait lâché la partie, perdu la piste de l’homme, quelques minutes avant l’arrivée des gendarmes. Agents et soldats, après avoir battu le pays pendant toute cette lourde journée, ne rentrèrent qu’à la nuit, harassés, trempés de pluie et de boue, déchirés par les ronces, faisant pitié[1] ; ils recommencèrent le lendemain et les jours suivants, renoncèrent seulement quand il n’y eut plus, à vingt lieues, une ferme, un fossé ou une broussaille qu’ils n’eussent fouillés[2]. Le signalement de l’inconnu ayant été télégraphié partout, on arrêta une vingtaine de sosies qu’il fallut relâcher aussitôt. Le teint chaud, l’accent « méridional » du meurtrier, selon certains témoins, firent supposer, un instant, qu’il était l’un des

  1. Aurore du 16 août 1899 : « Les agents étaient fourbus… » De même le Temps, le Figaro, etc.
  2. C’est ce dont convient Barrès : « Il n’y avait plus un pouce de ce terrain que ces centaines d’hommes n’eussent examiné vingt fois et l’on continuait à le retourner… Toute la région rennaise était sens dessus dessous. Chaque broussaille dissimulait un agent. » (173.) — Mêmes constatations dans tous les journaux de l’époque.